Les abattoirs luttent pour rester rentables
Hausse des charges et manque d’offre : les difficultés s’accumulent et déstabilisent les abattoirs multi-espèces français, petits comme grands.
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« Un abattoir ferme tous les mois depuis un an », annonçait Yves Fantou le 15 octobre 2024 lors du congrès annuel de Culture Viande, le syndicat des entreprises françaises de l’abattage découpe, dont il est le président. Et pour la première fois, le résultat courant avant impôt des abattoirs est négatif, « à –0,9 % pour le bœuf et –1,7 % pour le porc », précise-t-il.
Une situation de « crise »
La situation peut être qualifiée de « crise » pour le secteur, dont l’activité d’abattage a reculé de 50 000 tonnes de viande bovine en 2023 et de 1 million de porcs. « Ça représente cinq abattoirs de 10 000 tonnes pour les bovins et près de 20 000 porcs par semaine. La situation est difficile, mais nous devons nous adapter. Notre métier est en profonde mutation. »
Mais quels acteurs peuvent réellement faire face à cette situation ? Il semblerait que les grosses structures subissent en premier lieu le recul de l’offre, qui tire les cours à la hausse (+6 % pour les gros bovins sur 2023) et engendre un manque de saturation de leurs outils. Sur les trois premiers trimestres de 2023, l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaire (OFPM) enregistrait une baisse de 5,7 % des activités d’abattage de bovins de l’échantillon enquêté, pour la deuxième année consécutive.
Trois jours d’activité par semaine
Pour Boris Duflot, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage (Idele), la menace principale qui plane sur les outils d’abattage reste le manque d’offre. « Actuellement, l’impact des maladies vectorielles semble se traduire par une mortalité des animaux et une baisse de fertilité, décrypte-t-il. C’est un facteur qui s’ajoute à la décapitalisation et qui va affecter le nombre d’animaux à abattre dès la fin de 2025 et les années suivantes. »
L’analyse économique et financière des entreprises de la filière des viandes, publiée en février 2025 par le Crédit Agricole, estime que « le maillon de l'abattage des filières animales françaises devrait connaître une restructuration sur quelques années ». Certains sites d’abattage sont déjà passés à seulement quatre, voire trois jours d’activité par semaine, dans l’espoir de réduire les charges structurelles et salariales.
C’était la stratégie adoptée par l’abattoir Charal (groupe Bigard) de Sablé-sur-Sarthe (Sarthe). Le groupe a finalement annoncé le 2 octobre 2024 la fermeture de la chaîne d’abattage d’ici à l’été 2025 pour laisser place à une plateforme logistique. « C’était un site emblématique pour Bigard, mais les lignes étaient apparemment vieilles », partage Alexis Vaugarny, membre de Jeunes Agriculteurs (JA) de la Sarthe. Les volumes ont été redistribués dans d’autres abattoirs du groupe, à plus d’une heure de route.
La fermeture d’un abattoir du groupe Bigard montre que les grands outils n’échappent pas aux difficultés. Une spécialiste du secteur affirme que « les leaders ne sont pas à l’abri de fermer des lignes de production. Dès lors qu’un abattoir n’ouvre même pas quatre jours par semaine avec des lignes non saturées, la question se posera tôt ou tard. » La réponse n’est pas forcément la fermeture, mais une restructuration peut être nécessaire.
Des investissements inaccessibles
Le plan de soutien aux abattoirs, France Relance, développé en 2021, a soutenu les investissements de renouvellement. Pour autant, cela ne semble pas suffisant pour les petites structures qui croulent sous la hausse des charges. Henri Thébault, ancien directeur de l’abattoir Quintin Viande (Côtes-d’Armor), qui a fermé ses portes en juin 2024, en a fait les frais.
« L’énergie a augmenté de 30 % à partir de 2021, les équarrisseurs ont le monopole et imposent des tarifs à la hausse, les cinquièmes quartiers sont de moins en moins rémunérés… Toutes ces charges alourdissent le coût d’abattage et sont difficiles à répercuter auprès de nos clients », dénonce-t-il.
À cela s’ajoutent un maintien difficile des outils d’abattage et la dépendance aux entreprises externes. « Nous n’avons pas de quoi investir dans des outils de traitement de l’eau ou de nos déchets. Nous sommes tributaires des tiers, et ce sont des charges qui risquent d’augmenter demain », se désole Henri Thébault, également vice-président de la FNEAP (Fédération des abattoirs de service). Malgré les aides de France Relance, les investissements semblent hors de portée pour les abattoirs de proximité. « Aujourd’hui, on peut difficilement rentabiliser un outil neuf. C’est alors inenvisageable d’emprunter », regrette-t-il.
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